Kokopelli n’est pas que le nom d’une association militant pour la libre circulation des semences ; c’est avant tout le nom d’un personnage mythique dans les cultures amérindiennes (entre autre chez les Navajos, les Hopis et les Zunis, mais on en trouve aussi des représentations au Canada et même… au Pérou !).
Souvent représenté comme un joueur de flûte bossu, c’est (dixit Wikipédia) " un symbole de fertilité, de joie, de fête, de longue vie. C’est aussi un ménestrel, un esprit de la musique, un conteur, un voyageur de commerce, un faiseur de pluie, un guérisseur, un professeur, un magicien farceur, un séducteur, un fertilisateur" (et à ce titre il est souvent représenté avec un phallus largement surdimensionné!). C’est aussi un sage, avec une histoire pour chacun, rejoignant en cela la joyeuse cohorte des sages-fous comme Nassrudin et bien d’autres…
Si je te parle de lui, c’est parce que j’ai eu la chance il y a peu d’apprécier une magnifique peinture de sable traditionnelle navajo le représentant, et que sur cette représentation, il portait un baluchon suspendu au bout d’un morceau de bois, ce baluchon dans mon souvenir (mais je n’en suis pas certain) remplaçant alors sa bosse habituelle. Oui, parce que dans la mythologie, il est dit que cette bosse contient sa flûte, des graines, des plantes, des mocassins, des couvertures, des sacs de chansons, des objets sacrés ou médicinaux, et même… des bébés ! (1) Le tout étant destiné à être offert aux personnes qu'il souhaite séduire ou contenter. Et donc, dans le cas présent, il est possible d’imaginer que tous ces objets aient été placés dans son baluchon.
Et là, je sens que tu commences à voir où je veux en venir n’est-ce pas ? Parce qu’évidemment, dans le Tarot il y a un personnage se déplaçant avec ce type de baluchon et c’est le Mat.
Le Mat est en chemin, le Mat voyage sans trêve comme Kokopelli, c’est dans sa nature. Là où il va, il apporte l’énergie de la Vie. Il est l’énergie de la vie même, sans dogme, sans moral, il est le principe fondamental qui rend les choses vivantes plutôt qu’inertes. Dans un tirage, il apporte son énergie à la carte vers laquelle il se dirige (j’ai déjà écrit sur le Mat, entre autre ici).
Une des grandes questions que l’on est rapidement amené à se poser lorsque l’on étudie le Tarot est : « mais qu’y a t-il donc dans le baluchon du Mat ? » et la première réponse qui nous vient -et qui est parfaitement judicieuse- est qu’il pourrait y avoir les outils qui sont devant le Bateleur dans l’arcane suivant. Mais, j’aime cette idée qu’il pourrait aussi y avoir des graines, tant au sens réel que métaphorique. Oui le Mat est lui aussi un fertilisateur, il apporte ce dont nous avons besoin au moment où il arrive, il est semence de Vie, y compris dans les aspects les moins raisonnables que celle-ci peut prendre parfois. Le Mat apporte quelque chose et repart avec quelque chose ; il est messager, éternel vagabond réveillant ce qui pourrait s’être endormi, semant ordre ou désordre. Son baluchon n’étant pas bien grand, on peut comprendre qu’il ne transporte que l’essentiel fuyant le superflu car voyager léger lui permet de voyager loin. Ce baluchon, parce que clos sur lui-même, ouvre la porte à tous les questionnements et à tous les possibles et cela est bon, car si son contenu avait été divulgué, il en aurait été figé pour toujours et nous n’aurions pu y projeter notre propre histoire et nos propres questionnements.
Ainsi donc, une des questions que l’on pourrait se poser lorsque le Mat apparaît dans un tirage pourrait être : « quels sont les graines ou les outils dont j’ai besoin que le Mat m’apporte dans son baluchon ? » Et, a contrario, si le Mat s’éloigne d’une carte, la question pourrait être : « avec quoi repart le Mat dont je n’ai plus besoin ou qui m’encombrait ? Et puis encore une autre question : « qu’aimerais-je que le Mat m’apporte là maintenant ? ».
Maintenant, par jeu, persistons dans notre analogie avec Kokopelli :
- Un ménestrel et un esprit de la musique ? Les grelots du Mat chantent tout en annonçant sa venue.
- Un conteur ? Si les contes et les grands récits sont des fertilisateurs extraordinaires de nos psychés, le Mat ne pourrait-il être celui qui nous apporte un nouveau récit ?
- Un voyageur de commerce ? Il se dirige vers le Bateleur qui est un forain ou un prestidigitateur.
- Un faiseur de pluie ? Là… je sèche !
- Un guérisseur ? Oui, en ce sens qu’il amène la vie, le mouvement, le changement (son double noir l’Arcane sans nom étant très exactement le Mat passé au rayon X).
- Un professeur ? Oui, un professeur de liberté !
- Un magicien farceur ? Cet arcane est aussi appelé le Fou dans d’autres jeux.
- Un séducteur ? Sans doute est-ce moins évident… Mais les formes que peuvent prendre ce que l’on pourrait considérer comme sa liberté (et le Mat représente la liberté) peuvent souvent être tout autant trompeuses qu’enjôleuses.
- Un fertilisateur ? Oui, comme il est dit plus haut, c’est sans doute d’ailleurs sa fonction première. Apportant la vie et le renouveau, il vient fertiliser ce qui s’est appauvri au fil du temps.
Ah oui, une dernière chose : Kokopelli est présenté avant tout comme un joueur de flûte, ce qui, c’est entendu, n’est pas le cas du Mat. Toutefois, dans le Tarot une flûte (ou apparenté) il y en a une. Si, si… Va voir l’Arcane sans nom (tu sais le « double » du Mat) et regarde bien par-terre… (Je précise que j’utilise comme Tarot le « Camoin-Jodorowsky »)
Il est toujours troublant lorsque l’on travaille sur les mythes, les divinités, le Tarot ou les contes, de constater les similitudes ou les points communs à travers les cultures (toutefois, ayant dit ceci, loin de moi l’idée d’un syncrétisme s’adaptant à tout !) Face à cet état de fait, certains s’enhardissent à envisager des liens de causalité (comme cela a été fait par exemple entre le Tarot et la mythologie égyptienne) ; confondant alors à mon sens lien de similitude et causalité ; or ce n’est pas parce qu’il y a similitude qu’il y a obligatoirement causalité. Pour ma part, j’aime cette idée que, confronté à des questions semblables et portant en ses gènes les traces des expériences de ceux qui l’ont précédé, l’être humain en soit venu à élaborer des réponses semblables ; et j’aime aussi cette belle idée de l’inconscient collectif et de ses archétypes.
Ce qui m’amène du coup à une autre hypothèse : et si dans le baluchon du Mat, il y avait aussi… des questions ?
(1) Au passage, une flûte,
des graines, des plantes, des sacs de chansons, des objets sacrés ou
médicinaux ; cela ressemble quand même beaucoup à ce
dont a besoin un « medecine-man ».
Kokopelli