dimanche 7 février 2016

Un jeu d'enfant

Cartes apaches - scènes de chasse : 19ème siècle

Comme je l'ai déjà dit, le Tarot et les contes ont plus d'un point commun. Tous deux utilisent archétypes et symboles, tous deux parlent de héros en quête, tous deux racontent une initiation et un voyage. Mais ils ont en commun une autre chose : tous deux en disent plus que ce qu'il n'en paraît. Dans les deux cas, ils sont perçus comme des jeux d’enfants. Qui se méfierait de ces histoires toutes simples transmises de bouches à oreilles depuis la nuit des temps ? Et pourtant, si ces histoires n'ont pas disparu, c'est bien qu' elles parlent de quelque chose de tellement profond que l'être humain, même (et surtout ?) au cœur du chaos a cru bon de les préserver. Et puis, allons savoir : peut-être que les êtres humains n'existent que pour que les histoires puissent se faire entendre ?

Le Tarot est de prime abord un simple jeu de cartes. Un jeu d'enfant. Qui là encore s'en méfierait ? Une des théories sur l'origine du Tarot de Marseille -théorie non vérifiée mais séduisante- est qu'il aurait été élaboré par des sages représentants des trois religions monothéistes, à une époque où l'inquisition ou les incertitudes politiques auraient obligé à dissimuler leurs messages profonds.
Stratégie habile ! Le Tarot serait une ruse qui consisterait donc à cacher un savoir profond, d'une part, et à présenter comme un simple jeu d'images un chemin d'initiation, celui de la conscience qui cherche, d'autre part.

Les enfants, c'est connu, jouent toujours très sérieusement. Ils jouent à la bataille, au pouilleux massacreur.. Plus tard, adultes, ils jouent à la belote plutôt dans les classes populaires, au bridge dans les milieux aisés, au poker... un peu partout ! Et au tarot tout court dont le Tarot de Marseille est un rameau.
A chaque fois, il y a des conventions (telle carte vaut plus que telle autre) ; et il y a des règles. Le Tarot est un jeu de cartes aux règles métaphysiques. Le but du jeu est de mieux comprendre, de mieux éclairer nos vies, que ce soit sous leurs aspects amoureux, professionnels, spirituels ou autre... Et c'est un Fou qui mène la danse !

La vie est une danse et un jeu et le Tarot en est un miroir. Il répète à l'envie ce mantra de l'enfance qui dit : « on dirait que ». Un mantra par lequel nous faisons tous de chaque instant une histoire, une fiction. Les images qu'ils proposent pour ce faire ont pour une part l'innocence des illustrations des contes de nos enfances. Et pourtant ! Quelle rigueur dans les motifs ! Quelle extraordinaire cohérence de l'ensemble ! Quelle richesse infinie de leurs significations !

Le Tarot est un sublime livre d'images -et donc d'histoires- qui nous aide à mieux comprendre -voire à en changer- les scénarios de vie que nous nous construisons et donc, nous racontons.

Si les mots passent souvent par le mental, les images -pour le meilleur comme pour le pire- passent communément outre ce mental. Elles vont toucher en d'autres endroits. Et dans le Tarot, nous l'avons vu, ce ne sont pas n'importe quelles images : ce sont des symboles et des archétypes. Comme dans les contes -là encore- nous trouvons des rois, des reines, des empereurs, des impératrices, des astres, des chemins à prendre, des épreuves initiatiques à vivre, de fringants coursiers, de grands sages... Ces symboles sont le véritable langage de la psyché humaine. Quelle idée géniale et renversante alors ont eu les concepteurs du Tarot ! En faire un jeu de cartes ! C'est-à-dire, presque rien : un amusement, une distraction à qui n'y prend pas garde !

Ainsi c'est l'apparente innocuité et leur aspect inoffensif qui ont permis aux contes comme au Tarot de traverser les siècles sans encombre, ou presque. Quelle dictature est parvenue à empêcher la circulation des contes ? Aucune à ma connaissance. Quelle dictature pourrait interdire de jouer aux cartes ? Quelques unes ont bien du y parvenir mais sans doute pour pas très longtemps... Car on ne peut empêcher les enfants de jouer, pas plus d'ailleurs que les adultes... (et il est extraordinaire de noter l'incroyable diversité et répartition des jeux de cartes à travers le monde. Il a même existé des cartes circulaires !)

Mais cette stratégie de l'anodin ne vaut pas que pour déjouer les dictatures. Il vaut surtout et avant tout pour déjouer nos propres vigilances, nos propres périmètres de protection, nos stratégies défensives ; tous ces murs que nous érigeons à l'intérieur de nous pour nous protéger de l'imprévu et de tout dérangement. Or, face à une simple petite histoire aussi merveilleuse soit-elle ; face à un simple jeu de cartes, toutes les raisons que nous aurions de nous méfier, d'anticiper un éventuel dérangement, disparaissent comme neige au soleil ! Et c'est là, le plus malin des stratagèmes : ne nous en méfiant pas, nous les recevons dans la plus totale des innocences, dans le dénuement le plus imprévu. Et alors, grâce à cela, l'extraordinaire pouvoir de ces cartes ou de ces histoires peut vraiment aller là où il doit aller. Magnifique ruse métaphysique !

J'aime les contes. J'aime le Tarot. J'aime faire sonner le tambour. Des histoires, des images, une pulsation. Des plaisirs d'enfance simples mais qui par une magie mystérieuse nous ouvrent la porte sur les mystères et les réponses les plus extraordinaires. L'air de rien.