mardi 13 décembre 2016

Le Tarot : une école du regard


Le Tarot est un univers-monde aux chemins infinis, dans lequel il est impossible d’enfermer quoi que ce soit dans une seule signification ; une seule vérité. Pourtant, le Tarot dit des vérités et c’est là tout le paradoxe ! Il dit la vérité du moment. Ou plutôt, nous tentons d’y lire la vérité du moment… On dit souvent à propos des contes que les conteurs sont tous des menteurs, mais que les contes disent toujours la vérité. Il y a toujours dans un tirage de Tarot une approximation, quelque chose que le tarologue ne voit pas, et pour le moins un choix de regard et d’interprétation. Et pourtant, une vérité est dite ! Une vérité donc relative (comme toutes les vérités) mais qui pourtant peut avoir le pouvoir de réorienter le chemin de vie du consultant !

Face à sa multitude de sens, à ses correspondances sans fin, il est possible (et même parfois souhaitable ?) de s’y perdre. L’esprit humain adore construire des systèmes, des théories et il lui arrive même, plus souvent qu’à son tour, de trouver des causalités là où il n’y a sans doute qu’un croisement aléatoire de plusieurs données distinctes.

Il n’en demeure pas moins qu’il arrive parfois que devant un tirage de Tarot nous soyons complètement perdus. Face à cette difficulté deux réponses peuvent être intéressantes : bien comprendre que ce n’est pas le Tarot qui se trompe mais nous qui ne savons pas le comprendre, et revenir à l’image.

Ce retour à l’image est essentiel tant le Tarot est un langage d’images. Ses concepteurs (dont nous ignorons l’identité) auraient pu rajouter des mots (certains jeux plus tardifs ne s’en privent pas !) ; ils ne l’ont pas fait, sauf sur la cartouche inférieure indiquant le nom de la carte. Le jeu le plus ancien connu date du XIVème siècle. Une époque où très peu de gens savaient lire. Cela signifie qu’il y avait l’idée de pouvoir s’adresser à tout le monde. Le moyen-âge aimaient les images allant jusqu’à peindre l’intérieur des églises et des cathédrales. On enseignait les foules par les images et c’était par elles que l’on transmettait, par exemple, les scènes édifiantes de la Bible ou des Évangiles. L’iconographie médiévale est pour moi une merveille absolue dont je ne me lasse pas. Ce jeu de Tarot parvenu jusqu’à nous vient d’un siècle qui fut la jonction entre le moyen-âge et la Renaissance. La fin d’un cycle de mille ans et le début d’une nouvelle époque. Ce jeu a donc valeur de bilan tout autant que de passeport pour le futur….

Revenir à l’image. Donc, au-delà de toute spéculation intellectuelle ou émotionnelle, revenir à ce qui nous est montré. Et si il y a une chose que j’ai comprise en 15 années d’études (inachevées et d’ailleurs inachevables !) du Tarot, c’est bien qu’il n’y a aucun détail qui ne soit pas un choix. Rien qui ne soit dû au hasard. Il faut donc régulièrement revenir à la vérité de l’image car ici, tout fait sens.

Prenons l’exemple de l’Arcane sans nom et de sa partie inférieure. On voit bien sûr en premier ce squelette portant faux tout à fait inquiétant. On voit ces têtes (couronnées !) coupées, ces membres sectionnés, ces os. On voit cette terre noire, celle des champs d’hiver après les labours. Et l’on se dit : houlala, quelle horreur ! Ce qui va m’arriver est abominable !
Mais on regarde d’un peu plus près et l’on peut voir alors un os transformé en flûte ! Ah bon, il est donc possible de faire de la musique quand la grande faucheuse est là ? De faire chanter quelque chose quand son grand travail de transformation, de mise à nu, de métamorphose est en cours ? (Et à ce propos cette flûte creusée dans ce qui ressemble à un tibia ressemble comme deux gouttes d’eau à une authentique pratique bouddhiste tibétaine !). On regarde encore et l’on voit alors de jeunes pousses vigoureuses et pleines de vitalité sortant de terre. Quelque chose donc peut pousser dans ce sombre tunnel de l’hiver ?

Et bien oui. Explicitement, cette image nous dit bien qu’au-delà du travail de coupe et d’arrachage de l’Arcane sans nom, ce qui se joue est une nouvelle naissance, un renouveau. Qu’aussi dur à vivre que soit cette séquence, c’est un passage obligé pour de nouvelles moissons. Les têtes couronnées sont à terre, mais c’est pour mieux renaître après avoir fait le deuil de bien des illusions. La terre a été retournée, est nue, mais c’est pour de nouvelles récoltes. La chaire s’est décomposée mais pour de nouveaux chants, une nouvelle chair, une nouvelle vie. Et quand bien même la mort passerait-elle au sens propre, il nous est dit ici que la Vie, elle, continue ; toujours.

Ainsi, le Tarot est aussi une école du regard. Il est bon d’y réfléchir, mais il est bon aussi de revenir à la vérité première de l’image avant que les références historiques, culturelles ou autre ne s’en emparent. C’est pour cela que je juge important pour enseigner le Tarot de prévoir de longues séquences au cours desquelles les stagiaires ne font que regarder en silence. C’est ce travail-là qui me parait le plus à même de préserver la vitalité de nos perceptions.

Comme je l’écrivais il y a peu, l’arcane suivant l’Arcane sans nom est Tempérance. Un ange… La promesse contenue dans le premier arcane se voit donc ici confirmée. Après la traversée de l’ombre : la lumière ; après la souffrance : l’amour. Au sol, encore quelques pousses plus grandes que les précédentes. Les mêmes qui auraient poussé ? Ce qui a été donné pour mort, ce qui a fait la grande traversée, revient avec les ailes d’un ange. Une façon de montrer, là encore, qu’il ne peut y avoir d’accès à la lumière sans confrontation avec l’ombre et sans la traversée de cette expérience -pour le plus souvent rude- de l’Arcane sans nom…. Mais au plus sombre de notre parcours, le fait de voir que quelque chose de neuf est en train de pousser et qu’un chant puisse naître de cette épreuve peut être comme une promesse qui nous aide à tenir…

Le Tarot est une école à plus d’un titre : une école de vie ; un entraînement à l’intuition et à la sensibilité, à la richesse féconde du symbolique ; un chemin d’individuation ; une marelle vers le sacré ; une connexion avec ce qui peut nous échapper… Il est aussi une école du regard qui, si l’on y revient, inlassablement, peut nous éviter de nous y égarer.

Et puis, encore une chose. Dans cette partie inférieure de l'arcane, il y a un objet étrange : un os, un peu comme un chausse-pied qui ne ressemble à aucun os connu. C'est un mystère, et pour l'heure, je ne connais personne qui ait apporté une réponse pertinente à celui-ci. J'aime cette idée d'une vérité qui se dérobe. Comme si, pour des siècles, ce jeu, ce livre, ce miroir, ce chemin, qu'est le Tarot gardait une part d'irrésolu ; à l'image de ce que sont nos vies : des mystères que nous tentons d'éclaircir... Et comme si, dans cet irrésolu-là, reposait comme une dynamique très puissante qui nous dirait : avance ! Cherche !

dimanche 28 août 2016

Stage Tarot chamanique et conférence sur le Tarot

Photo : Jeanne Cremer et Franck Peirrolle

Le moment est venu pour moi de commencer à transmettre ce que j'ai appris du Tarot de Marseille. Cela pour l'heure prend deux formes :

- Des conférences de découverte du Tarot (pour tout public adulte et en tout lieu).

- Des stages de pratique et de découverte du Tarot chamanique présentés en co-animation avec Murielle Lemarié (cliquer pour ouvrir le lien), praticienne chamanique.

La conférence :

S'appuyant sur des images agrandies des arcanes, cette conférence est une initiation au Tarot, une présentation de celui-ci tant dans ses aspects historiques que symboliques, et une première approche de mon travail. Elle alterne apports théoriques et exercices pratiques (et ludiques !). Si vous connaissez des lieux ou des particuliers susceptibles d'être intéressés, merci de me le faire savoir !

Les stages "Tarot chamanique" avec Murielle Lemarié :

Le premier aura lieu à Paris le weekend du 18 et 19 mars 2017.

Cet atelier se propose de faire découvrir la rencontre entre Tarot de Marseille et chamanisme. Murielle Lemarié et moi-même travaillons tous deux à partir du Tarot développé par Alexandro Jodorowsky et nous avons ainsi eu envie de faire partager une autre façon d'aller à la rencontre du Tarot.

En co-animation, nous vous proposons un atelier sur deux jours afin de découvrir et d’explorer la pratique du Tarot sous cet angle novateur.

S'il est indispensable d'étudier le Tarot de Marseille de façon pragmatique (la connaissance intellectuelle, l'intuition, les symboles, l'histoire...), entrer dans une relation chamanique (en état modifié de conscience) avec les arcanes amène le Soi supérieur à une vision plus large et plus subtile avec le Tarot.

Le Tarot est ici vu et utilisé comme un outil de développement personnel, de connaissance de soi et du monde.

A travers un parcours à la rencontre des arcanes et de soi, cet atelier vous propose de partir à l'aventure, à la rencontre ou à la découverte du Tarot, sous forme d'une Quête personnelle afin de nous mettre en chemin.

Pré-requis : Pour suivre cet atelier il est demandé d'avoir une expérience préalable des voyages chamaniques. Vous pouvez ainsi suivre les ateliers d'initiation aux mondes de l'esprit en groupe ou en individuel proposés par Murielle (voir sur son site). Si vous avez suivi un enseignement par ailleurs n'hésitez pas à la contacter par mail afin d'échanger avec elle  (lacroiseedescordes@yahoo.fr).

Conditions tarifaires : 240 € les deux journées.

Pour tout renseignement et/ou inscription, me contacter, soit par mail (dominiquemotte@gmail.com), soit par téléphone (06 87 47 62 81)

mercredi 29 juin 2016

La grande roue


Une fleur d'un fruit de la passion
(photographie prise dans le jardin de l’Émerveillée en ses terres)


Les cultures amérindiennes ont conçu un outil extraordinaire qui s’appelle « la roue de médecine ». Il s’agit de conférer à chaque direction cardinale (il y en a 13 !) des caractéristiques précises. Chaque direction est rattachée (habitée ou investie) par une couleur, une saison, un esprit, un élément, un travail particulier, un animal, une couleur… Parfois ces caractéristiques pouvant varier d’un peuple à un autre.

C’est donc une boussole géographique, mais aussi intérieure. Chaque endroit où l’on se trouve devenant une initiation, voire un lieu pour guérir. Ce concept de « roue de médecine » est complexe -et je crois que rares sont ceux qui en occident le maîtrisent parfaitement- mais il résonne profondément, remettant l’Homme dans une géographie de l’univers qui rejoint sa géographie et sa physique intérieures. Pour chaque direction un travail à accomplir, sur ses pensées, ses émotions, ses illusions, son corps, ses rêves… Une relation à entretenir ou à nouer. L’univers, le paysage, deviennent dès lors un mandala puissant avec lequel nous sommes en interaction. C’est un outil thérapeutique et spirituel.

L’Homme est, où qu’il soit, au centre d’un espace circulaire, entouré et habité de présences qui l’accompagnent.

Le Voyageur sur la Voie du Tambour commençait l’exploration de ce cercle, accompagné de quelques compagnons de route, tous guidés par Celle qui avait déjà fait le chemin, et c’était tout aussi puissant que remuant et exaltant. Dans cette exploration, au gré de ses voyages, peu à peu, une vision s’est imposée. 

Cela a commencé par une image, et puis une autre ; de grands paysages dans lequel il entrait et au sein desquels quelque chose d’ineffable et de puissant advenait. Des images du Tarot de Marseille qui devenaient des paysages grandeur nature dans lesquels il évoluait. Des personnages de ce même Tarot qui se présentaient à lui comme guides. Et soudainement un éblouissement : le Tarot de Marseille EST une roue de médecine !

Certains affirment que « Tarot » serait l’anagramme du mot latin « rota » qui signifie « roue ». Sachant que sur l’origine du mot « Tarot », le nombre d’hypothèses est proportionnel à notre ignorance, on n’en sait rien ! Reste que des roues, dans le Tarot on en voit : la Roue de Fortune (placée au milieu du jeu), les roues du Chariot… Le Tarot est une structure circulaire : quand le cycle commencé avec le Mat et le Bateleur s’achève avec le Monde, un autre cycle commence. C’est un cercle sans fin, perpétuellement renouvelé. La Roue de la vie.

Imaginons un grand espace circulaire autour duquel seraient disposés dans leur ordre numérique les 22 arcanes. C'est un paysage onirique. Chaque carte est une porte, un temple dans lequel le Voyageur placé au centre peut entrer. Chaque arcane est un espace de travail intérieur, un lieu d’initiation. A chaque arcane ses fonctions et l'âme y est chez elle. C'est une roue spirituelle, la roue de toutes les métamorphoses et de toutes les résiliences. Car chaque arcane dans lequel le Voyageur pénètre est un lieu d'enseignement et d'apprentissage. Chaque arcane est comme un maître qui l'enseigne. Un archétype qui agit et qui conduit son âme. Il lui parle en un langage mystérieux que le Voyageur comprend. Et dans cet enseignement il y a la compréhension de toute l'expérience humaine.

Le Tarot est un chemin, Tous les arcanes sont liés entre eux et bénéficient de l'expérience de ceux que le précèdent dans l'ordre numérique. Le Voyageur, ainsi va la vie, les rencontre dans un ordre aléatoire en fonction des événements de sa propre vie. A chaque arcane son expérience et ses compréhensions. C'est un mandala à la grandeur de l'univers et de la psyché humaine !
Qu'il fasse silence en lui, et les arcanes parleront au Voyageur car ils parlent "dans le silence du cœur". C'est ainsi. A chaque arcane le Voyageur vient soigner et comprendre quelque chose. Ainsi, par exemple parmi des milliers de possibilités, chez la Papesse pourra t-il se demander ce qu'il a apprendre du monde dans le silence de l'âme ; chez le Chariot ce qu'il a à entreprendre dans le monde ; chez l’Étoile trouver, comprendre et vivre sa juste place dans le monde ; chez le Bateleur ce qu'il a à commencer et à expérimenter, et ainsi de suite... C'est un jeu sans fin qui n'a pour limites que l'imagination et l'investissement psychique que l'on y met.
Ce mandala du Tarot est profondément curatif car il parle le langage de l'âme. Il la convoque pour peu que l'on s'en soit éloigné.

Le Voyageur au centre de ce grand cercle sentait à quel point cette structure était vivante et puissante. Chaque image étant comme un reflet d'une sorte de conscience universelle dont le Voyageur se sentait le dépositaire obligé, l'humble disciple, l'apprenti, l'élève essayant de se mettre à hauteur de la vision.

- Tu iras donc lui dit-on et tu questionneras. Et tu demanderas quel travail est à accomplir en chaque porte passée. Quelle guérison est en œuvre pour chacune d'entre elles !

- Je le ferai, oui, répondit le Voyageur. Mais les arcanes mineurs ? 

- Ah les arcanes mineurs ! C'est toujours le plus simple, le plus évident comme le nez au milieu de la figure que tu ne vois pas ! Tu veux de l'explicatif ? Tu vas donc en avoir. Mais n'oublie pas : ce que nous te disons aujourd'hui est vrai, mais peut aussi être faux. Ou parcellaire. Le Tarot ne se limite à aucune définition ! Donc, les arcanes majeurs sont de grands temples, miroirs et chemins, à l'échelle de l'immensité de l'univers et de la conscience. Et quand bien même parlent-ils aussi de tes expériences les plus prosaïques, ils sont des machines puissantes aptes à activer ton âme. Les arcanes majeurs, quoique te reflétant, sont plus grands que toi ; ils t'enseignent. Pour les arcanes mineurs, c'est différent. Ils sont ton propre miroir, un reflet de ton expérience humaine et te représentent toi sur le chemin. Tu peux être sur le chemin du corps, de la matière ou du concret (les Deniers) ; sur le chemin de l'énergie, de la créativité, de la sexualité, de la recherche de la santé (les Bâtons) ; sur le chemin de l'émotionnel et de l'affectif (les Coupes) ou sur celui de l'esprit, de la pensée, du langage et de la symbolisation (les Épées). Ils te disent là où tu es ou là tu devrais te situer pour accomplir ce que tu as à faire. Ils forment une sorte de grande spirale ascendante se suivant les uns et les autres. Un jeu de marelle métaphysique où vous allez, sautant ou glissant de case en case. Ils sont à échelle humaine, très simples, et tu les arpentes inlassablement. Nous y reviendrons à ces arcanes mineurs. C'est ta grande affaire en ce moment ! Ils sont humbles, dépositaires d'un savoir très pragmatique, ils sont des balises sur le chemin au quotidien de l'être humain. Leur progression est basée sur une logique de croissance puis de décroissance, comme les plantes. Leur modèle est le végétal ; ils sont d'inspiration terrienne mais évoluent vers l'humain avec les figures. Toi voyageur arpenteur, comme tous tes frères et sœurs, les parcourez inlassablement. Vous pouvez même être sur plusieurs chemins à la fois ! Et tout cela s'imbrique parfaitement : les majeurs, les mineurs, chacun étant le miroir de l'autre, et te reflétant toi, à l'infini des possibles...

Ainsi donc, le Tarot fut au début pour le Voyageur un simple jeu de cartes. Puis un mystère à comprendre et à décrypter. Puis un regroupement d'enseignants sur le chemin de l'âme, puis une pratique de l'esprit sur la Voie du tambour, puis une structure active, puissante par laquelle l'Homme peut grandir et même soigner son âme.

Ce soir, sur le chemin du Tambour, il reviendra dans la grande clairière aux 22 portes et aux quatre chemins possibles. Il s'en approchera, écoutera, regardera ; et continuera ainsi cette exploration sans fin pour un jour, bientôt, enfin, l'apprendre à ses compagnons de route...




mardi 19 avril 2016

Le Mat : le marcheur aux grelots qui font chanter le monde


Le Mat est la seule carte du Tarot à ne pas avoir de numéro. Tout simplement parce qu’il n’en a pas besoin et qu’il ne situe pas à un endroit précis du chemin de conscience et de vie proposé par le Tarot entre le 1 et le 21.

Il est ce qui commence, ce qui se met en marche : la conception d’un enfant, un projet qui débute et que l’on imagine encore, un spermatozoïde ou un ovule, un amour naissant… Il est l’élan fondamental de la Vie, la conscience qui s’éveille et cherche. Pure énergie, élan premier, il se situe bien sûr au début du jeu mais aussi en chacun des arcanes. Un arcane sans l’énergie du Mat serait comme un corps sans vie, un être vivant sans conscience, un morceau de bois mort. Le Mat est ce qui va ; toujours. Ce qui ne s’arrête jamais, et quand bien même le ferait-il, ce qui ressemble à un chien lui mord les mollets pour l’inciter à avancer.

Le Mat a un corps, la preuve étant qu’il est mordu. Il marche, inlassablement, sans fin. Il est l’arcane de la conscience qui s’incarne en un être, et le chemin qui l’attend est long : du début avec le Bateleur –celui qui a tous les outils mais ne sait pas encore s’en servir, pas plus qu’il ne sait quoi faire exactement- jusqu’au Monde et sa parfaite réalisation.

Il se contente de peu ne s’encombrant que d’un baluchon porté sur l’épaule et d’un bâton rouge pour en souligner l’énergie phénoménale. Juxtaposons son image à celle de l’Arcane sans nom et constatons que le bâton de l’un est recouvert par la faux de l’autre ! Le Mat est un pèlerin. Il avance toujours, et c’est dans cette avancée lente et têtue qu’il trouve ses réponses. C’est un marcheur ; il a un corps et il s’en sert. Il lui manque un doigt à la main droite, et cela est un de ses mystères. Il dit entre autre ceci : « il n’y a pas d’expérience de la conscience sans un corps pour la percevoir. Ton corps est donc un outil précieux ». Et sans doute ajoute-t-il : « n'oublie pas de le faire danser ! ».

Certains l’appellent le Fou. Il est possible de penser que cela procède d’une démarche de dévalorisation. Ce qui est sûr c’est qu’il fait fi des conventions sociales et du qu’en dira-t-on. Il se joue même de la culture. Il est avant la culture, avant la vie sociale. Il est ce qui nous meut et qui vient du plus loin que nous : l’appel de la vie à elle-même. A le regarder de près ses oreilles sont recouvertes par son bonnet. Il est parfois un peu sourd au monde, n’écoutant que son élan, distrait par rien, regardant fixement le ciel, guidé par sa bonne étoile.
Il est mouvement. Sans mouvement,la Vie meurt. Il n’y a pas de vie sans changement, sans élan, sans échanges d’énergie. Il est donc le mouvement premier, fondamental, l’élan, l’impulsion qui nous fait nous dire : « je suis vivant ».

Certains donc l’appellent le Fou et il est vêtu comme tel ; d’un habit multicolore coiffé d’un drôle de bonnet. Sur son habit des grelots ont été cousus. Ce n’est pas certain, mais si on essaie de tous les compter, y compris ceux de l’autre côté de son costume et situés sur le curieux bâton en forme de cuillère retournée lui servant à porter son sac, ainsi que les autres disposés sur la carte, on peut arriver à 22, soit le nombre d’arcanes majeurs. Lorsqu’on les secoue, et c’est ce qui se passe quand le Mat marche, les grelots tintinnabulent. Ainsi, on l’entend arriver, s’éloigner, se déplacer. Il carillonne légèrement comme une façon de dire que lorsque la conscience est là, quand elle s’incarne, quand ce que nous avons en nous de plus vital s’active ; alors, la vie chante ! Vivre pleinement c’est vibrer, chanter, tintinnabuler avec tout ce qui nous entoure et nourrit notre âme. Comme des oiseaux qui chantent, le Mat participe à la symphonie du monde.


Ancré dans la sol par les pieds et son bâton de pèlerin, regard fixant les étoiles, bercé de ses carillons, il avance, apportant à l’arcane vers lequel il se déplace son énergie première et incommensurable…

dimanche 7 février 2016

Un jeu d'enfant

Cartes apaches - scènes de chasse : 19ème siècle

Comme je l'ai déjà dit, le Tarot et les contes ont plus d'un point commun. Tous deux utilisent archétypes et symboles, tous deux parlent de héros en quête, tous deux racontent une initiation et un voyage. Mais ils ont en commun une autre chose : tous deux en disent plus que ce qu'il n'en paraît. Dans les deux cas, ils sont perçus comme des jeux d’enfants. Qui se méfierait de ces histoires toutes simples transmises de bouches à oreilles depuis la nuit des temps ? Et pourtant, si ces histoires n'ont pas disparu, c'est bien qu' elles parlent de quelque chose de tellement profond que l'être humain, même (et surtout ?) au cœur du chaos a cru bon de les préserver. Et puis, allons savoir : peut-être que les êtres humains n'existent que pour que les histoires puissent se faire entendre ?

Le Tarot est de prime abord un simple jeu de cartes. Un jeu d'enfant. Qui là encore s'en méfierait ? Une des théories sur l'origine du Tarot de Marseille -théorie non vérifiée mais séduisante- est qu'il aurait été élaboré par des sages représentants des trois religions monothéistes, à une époque où l'inquisition ou les incertitudes politiques auraient obligé à dissimuler leurs messages profonds.
Stratégie habile ! Le Tarot serait une ruse qui consisterait donc à cacher un savoir profond, d'une part, et à présenter comme un simple jeu d'images un chemin d'initiation, celui de la conscience qui cherche, d'autre part.

Les enfants, c'est connu, jouent toujours très sérieusement. Ils jouent à la bataille, au pouilleux massacreur.. Plus tard, adultes, ils jouent à la belote plutôt dans les classes populaires, au bridge dans les milieux aisés, au poker... un peu partout ! Et au tarot tout court dont le Tarot de Marseille est un rameau.
A chaque fois, il y a des conventions (telle carte vaut plus que telle autre) ; et il y a des règles. Le Tarot est un jeu de cartes aux règles métaphysiques. Le but du jeu est de mieux comprendre, de mieux éclairer nos vies, que ce soit sous leurs aspects amoureux, professionnels, spirituels ou autre... Et c'est un Fou qui mène la danse !

La vie est une danse et un jeu et le Tarot en est un miroir. Il répète à l'envie ce mantra de l'enfance qui dit : « on dirait que ». Un mantra par lequel nous faisons tous de chaque instant une histoire, une fiction. Les images qu'ils proposent pour ce faire ont pour une part l'innocence des illustrations des contes de nos enfances. Et pourtant ! Quelle rigueur dans les motifs ! Quelle extraordinaire cohérence de l'ensemble ! Quelle richesse infinie de leurs significations !

Le Tarot est un sublime livre d'images -et donc d'histoires- qui nous aide à mieux comprendre -voire à en changer- les scénarios de vie que nous nous construisons et donc, nous racontons.

Si les mots passent souvent par le mental, les images -pour le meilleur comme pour le pire- passent communément outre ce mental. Elles vont toucher en d'autres endroits. Et dans le Tarot, nous l'avons vu, ce ne sont pas n'importe quelles images : ce sont des symboles et des archétypes. Comme dans les contes -là encore- nous trouvons des rois, des reines, des empereurs, des impératrices, des astres, des chemins à prendre, des épreuves initiatiques à vivre, de fringants coursiers, de grands sages... Ces symboles sont le véritable langage de la psyché humaine. Quelle idée géniale et renversante alors ont eu les concepteurs du Tarot ! En faire un jeu de cartes ! C'est-à-dire, presque rien : un amusement, une distraction à qui n'y prend pas garde !

Ainsi c'est l'apparente innocuité et leur aspect inoffensif qui ont permis aux contes comme au Tarot de traverser les siècles sans encombre, ou presque. Quelle dictature est parvenue à empêcher la circulation des contes ? Aucune à ma connaissance. Quelle dictature pourrait interdire de jouer aux cartes ? Quelques unes ont bien du y parvenir mais sans doute pour pas très longtemps... Car on ne peut empêcher les enfants de jouer, pas plus d'ailleurs que les adultes... (et il est extraordinaire de noter l'incroyable diversité et répartition des jeux de cartes à travers le monde. Il a même existé des cartes circulaires !)

Mais cette stratégie de l'anodin ne vaut pas que pour déjouer les dictatures. Il vaut surtout et avant tout pour déjouer nos propres vigilances, nos propres périmètres de protection, nos stratégies défensives ; tous ces murs que nous érigeons à l'intérieur de nous pour nous protéger de l'imprévu et de tout dérangement. Or, face à une simple petite histoire aussi merveilleuse soit-elle ; face à un simple jeu de cartes, toutes les raisons que nous aurions de nous méfier, d'anticiper un éventuel dérangement, disparaissent comme neige au soleil ! Et c'est là, le plus malin des stratagèmes : ne nous en méfiant pas, nous les recevons dans la plus totale des innocences, dans le dénuement le plus imprévu. Et alors, grâce à cela, l'extraordinaire pouvoir de ces cartes ou de ces histoires peut vraiment aller là où il doit aller. Magnifique ruse métaphysique !

J'aime les contes. J'aime le Tarot. J'aime faire sonner le tambour. Des histoires, des images, une pulsation. Des plaisirs d'enfance simples mais qui par une magie mystérieuse nous ouvrent la porte sur les mystères et les réponses les plus extraordinaires. L'air de rien.

vendredi 15 janvier 2016

Bientôt : des ateliers Tarot


Je travaille actuellement sur un projet d'enseignement du Tarot. Cela pourra prendre la forme de « conférences » (je mets entre guillemets pour des raisons que je développerai dans le texte) ou de stages.

Mais peut-on « enseigner » le Tarot ?

Comme je le dis souvent, nous avons en français 26 lettres avec lesquelles nous composons des mots, puis des phrases, puis des chapitres, puis des livres... 26 lettres avec lesquelles nous pouvons exprimer presque toute l'immensité de l'expérience humaine. Le Tarot, lui, dispose de 22 arcanes majeurs et de 56 arcanes mineurs ; et chaque arcane pourrait être une lettre.... Il est donc un alphabet visuel au potentiel infini, chaque arcane venant colorer et orienter le sens de celui qui est à côté.

Il n'existe donc pas de règles qui pourraient dire avec certitude que telle interprétation d'un tirage est bonne ou erronée. Pourtant, tout tarologue un peu sérieux peut dire quand une interprétation est toute à fait fantaisiste ! Car au-delà de sa pluralité infinie de sens (sa polysémie dirait-on en langage plus élaboré), le Tarot est d'une cohérence intérieure absolument parfaite.

Si je pose la question de son enseignement, c'est parce qu'il me semble qu'il ne suffit pas de communiquer des informations objectives, du type : tel arcane représente telle chose ou telle chose. Il faut le faire, mais cela ne suffit pas. Car comprendre un tirage, et à plus forte raison comprendre le Tarot, relève bien sûr de l'utilisation d'un savoir objectif, mais aussi d'une intuition dans laquelle viennent interférer la couleur du moment, la relation entre le tarologue et le consultant (ou soi-même si on le tire pour soi), notre disponibilité intérieure, notre capacité à mobiliser l'ensemble de notre savoir et de notre expérience, l'entière qualité de notre présence au monde, là, ici, et maintenant ; et surtout la qualité et la nature de notre relation avec chaque arcane.
Comme le conte (avec lequel je le compare souvent), le Tarot en dit toujours plus qu'il ne semble, et est un art de la présence. Il ne suffit pas de « le lire », il faut aussi savoir l'écouter. Interpréter un tirage est tout autant le résultat d'une cognition personnelle, qu'une mise en disponibilité visant à pouvoir écouter ce que le Tarot a à nous dire.

Chaque arcane est un symbole. Plus : un archétype. C'est-à-dire une présence active qui vient mobiliser, activer, et travailler quelque chose dans notre vie intérieure, dans notre psyché ; et ce travail se fait, en grande partie, à notre insu. Il faut donc accepter de se laisser agir pour que ce travail se fasse. C'est un travail intime, constant et qui prend du temps. Ainsi, pour ce qui me concerne, cela fait plus quinze ans que je vis avec lui dans une relation de compagnonnage qui ne me quitte jamais.

Le Tarot, simple et ludique jeu de cartes dans lequel de sages érudits du moyen-âge auraient en quelque sorte « codé » leur connaissance spirituelle (c'est une hypothèse car en fait on ne sait pas exactement), parle d'un chemin de la conscience. Chaque arcane est comme une étape, une épreuve, une expérience, par laquelle toute conscience qui se met en marche passe. Dans un livre sur le Tarot qui je l'espère sera publié un jour, je reprends les travaux de Joseph Campbell sur le « chemin du héros ». Le Mat est ce héros qui se met en marche. Il est cette conscience incarnée qui cherche, cette énergie et cet appel fondamental.
Mais le Tarot peut aussi parler de toute l'expérience humaine, même la plus prosaïque ! Il n'y a pas d'un côté le spirituel et de l'autre le matériel ! Pas plus qu'il y a de séparation entre le corps et l'esprit. Tout est lié !

Tout cela pour dire que si une partie de la connaissance du Tarot peut s'enseigner, une autre ne peut être appréhendée que par l'expérience d'une relation intime avec chaque arcane. Et cela ne peut se faire que par une pratique expérimentale. Le Tarot, finalement, se transmet tout autant qu'il ne s'enseigne.
Ces stages, ateliers, conférences, ne seront donc pas que théoriques. De la théorie, il y en aura bien sûr -c'est même indispensable-, mais il y aura aussi beaucoup de propositions visant à expérimenter et vivre cette relation intuitive et profonde avec le Tarot.

Je n'enseignerai pas de pratiques chamaniques ne me sentant pas encore habilité à le faire, mais j'enseignerai ce que j'appelle « le Tarot de la conscience » ou « Tarot de la présence ». Pratiques corporelles et méditatives, « écoute » guidée de chaque arcane, travail sur le présent et la qualité de sa relation à l'arcane, entraînement de son intuition articulé avec du matériel plus théorique... L'idée est de chercher et d'expérimenter ensemble dans la magie de l'instant présent.
Et puis, puisque je parlais plus haut de la relation pour moi O combien féconde entre le Tarot et le conte, et partant du principe que tout tirage est une narration, nous développerons un travail autour de ce que j'appelle « les fictions tarologiques ».

Tout cela bien sûr dans la simplicité, la joie et le respect de chacun !

Je vous tiendrai au courant dès que les choses se concrétiseront ! (Je pense commencer par des ateliers, sortes de « causeries pratiques », qui prendront la forme de conférences articulant théorie et premiers exercices pratiques...)

A bientôt !